L'Association de Réflexion et de Recherche Clinique en Psychomotricité de Lyon et sa Région vise à promouvoir la recherche clinique en psychomotricité par divers moyens notamment : l’organisation de séminaires, colloques, groupes de réflexion. Soutenir des projets individuels ou collectifs de recherche sur la clinique psychomotrice, favoriser et/ou rechercher la collaboration avec des structures à même d’apporter une contribution directe ou indirecte au but poursuivi par l’association et tout particulièrement avec l’Institut de Formation en Psychomotricité de Lyon.
Elle s’adresse à tout psychomotricien désireux d’engager un travail d’approfondissement théorico-clinique, quel que soit son champ d’exercice professionnel ou son référentiel théorique et clinique.
Susciter les échanges, favoriser le débat entre psychomotriciens, soutenir la réflexion et la recherche à propos de la pratique, telles sont les ambitions de l’ARRCP Lyon et région. Dans cet objectif, l’association mise sur l’engagement de ses membres dans une démarche qui consiste à se confronter aux difficultés et aux doutes rencontrés dans la clinique, à approfondir ses intuitions cliniques, à les arrimer à des concepts théoriques, à transmettre et discuter les résultats de ses travaux.

lundi 26 mars 2012

Café-psychomot du 28 février 2012, ou que faisons-nous de l’agressivité en psychomotricité ?


Une thématique chère à Bastien Morin nous a rassemblés autour du texte de D. W. Winnicott : "L’agressivité et ses rapports avec le développement affectif" in De la pédiatrie à la Psychanalyse, Science de l’homme, Payot, pp. 150-158.

Bastien commence par nous faire son résumé de la théorie de Winnicott en reprenant les points qui lui semble essentiels dans la clinique psychomotrice :

Tout d’abord l’agressivité dans la relation touche les deux interlocuteurs, l’agresseur et l’agressé.

A partir de la motricité primaire qui contient un début de violence, Winnicott distingue deux stades dans l’émergence de l’agressivité : le stade qui précède l’inquiétude et le stade de l’inquiétude. Dans ce dernier stade nait le sentiment de culpabilité qui promeut l’enfant vers la socialisation.

La motricité primitive n’est pas cruelle, et Winnicott la relie à la satisfaction du ça. Elle concerne l’enfant dès sa conception : cf les coups de pieds du fœtus dans le ventre de sa mère. Lorsque la mère est suffisamment bonne, en portant son bébé dans son utérus ou dans ses bras pour lui adresser son amour, "l’individu peut commencer son existence… Tout est prêt pour que le maximum de motricité s’incorpore dans les expériences du ça". Il y a un pourcentage de motricité liée, et le reste de la motricité non-liée. Si la part non-liée de la motricité est trop importante, il y a menace pour la santé de l’individu avec installation dans une position sadique ou masochiste.

Si l’environnement n’est pas suffisamment bon en devenant envahissant, apparait alors un faux self dont la fonction est de cacher le vrai.

L’agressivité est donc indispensable à la bonne maturation de l’enfant. Elle doit pouvoir se jouer dans les interactions au sein d’un environnement suffisamment bon, c’est-à-dire tout autant doux et enveloppant que dur, solide et fiable. C’est ainsi que le noyau narcissique se constitue.

L’agressivité est source de différenciation contrairement à la violence (en référence à Bergeret).

Puis Bastien nous invite à le suivre dans le lien qu’il fait entre cette théorie de l’agressivité et son travail de psychomotricien en gériatrie.

Que penser du vécu de traumatisme de la personne âgée accueillie en institution ? Comment l’ancien diminué dans ses capacités physiques ou psychiques peut-il encore se différencier et s’autonomiser ?

Pour Bastien, quand il y a crise de senescence et remaniement narcissique, la prise en compte de l’agressivité dans la relation thérapeutique devient un recours salvateur. Bastien imagine que la psychomotricité serait une médiation pour renvoyer à l’autre quelque chose de détoxifié de son expression agressive, en référence à Bion. Cela se fait par le jeu, ne serait-ce que dans l’humour qui peut même tourner à l’humour noir.

A partir de quand est-on surprotecteur et envahissant ? Jusqu’où favoriser l’autonomie de l’autre avec les risques qu’elle encoure, comme la chute ? Comment trouver la sécurité suffisante et seulement suffisante ?

Lorsque le vieux bave, crache, s’agrippe à ce qu’il peut de son environnement, cela fait violence. La violence est immédiate et manque de médiateur. L’agressivité réveille quelque chose de très archaïque, mais fait médiation.

Travailler à partir de l’agressivité est un moyen de réunir les individus, mais aussi de rassembler le sujet. Il n’y a pas que la protection : on peut considérer l’autre comme son semblable en se posant face à lui.

Le décodage du texte de Winnicott que Bastien nous a proposé à la lumière de sa clinique a motivé de nombreuses prises de paroles.

• Par les psychomotriciens travaillant aussi en gériatrie :

Bérangère nous relate comment les patients déments dans un groupe qu’elle tentait d’animer à l’aide un jeu de ballon lui semblaient absents, dans une ambiance "molle". En proposant des changements de support, de la petite balle à la plus grosse, puis à l’énorme ballon, les patients ont pu alors s’en saisir, dans une ambiance consistante qui a même laissé trace dans leur mémoire.

Mathilde pense sa façon d’être au travail dans une présentation de soi dénudée qui permet "d’aborder l’agressivité en montrant qu’on a pas d’arme."

• Cécile et Natacha, travaillant dans la clinique du polyhandicap disent comment le psychomotricien peut "prêter" parfois son corps au service de l’expression agressive du patient et comment celui-ci se retrouve compris et plus présent dans sa tonicité.

• Denis, travaillant en pédopsychiatrie rapporte la double injonction : "Tu peux exprimer ton agressivité, mais on n’a pas le droit de se faire mal." Il dit aussi comment le patient, en nous agressant, vient solliciter nos propres mouvements agressifs. Par exemple lorsqu’on se sent attaqué par un ballon lancé trop brutalement, comment on peut avoir envie de réagir en prenant notre revanche, avec violence. Et c’est bien l’introduction du jeu qui va orienter la rencontre vers la créativité.

• Aran rappelle l’importance de la sécurité indispensable à la prise en compte de l’agressivité. Comment une institution peut mettre dehors des résidents trop agressifs, alors qu’elle ne propose aucune suite de soin ? Cela illustre tout à fait le propos de Winnicott : dans l’agressivité on est deux.

• Je renchéris sur cette dimension institutionnelle. L’institution, en voulant être trop bienveillante n’est alors plus un environnement suffisamment bon, interdisant l’émergence de l’agressivité. Elle devient alors étouffante. Ce désir d’étouffer l’agressivité par une sédation ou une contention peut être aussi la seule solution trouvée par une équipe de soin en sous-effectif, illustrant comment la santé en France s’est dégradé. Nous ne pouvons que constater encore comment la qualité de notre travail clinique est tributaire de la santé de l’institution dans laquelle nous exerçons.

Le café-psychomot s’achève un peu à la hâte. Il y avait ce soir matière à discuter et le temps nous a semblé court. Merci à Bastien d’avoir si bien nourri cet échange.

Le prochain café-psychomot aura lieu le 15 mai 2012 et aura pour thème la sexualité. Nous vous tiendrons ultérieurement informés par le blog de l’écrit sur lequel nous nous baserons.

Pour l’ARRCP,

Odile Gaucher-Hamoudi